À son réveil, le soleil était déjà haut dans le ciel, elle se demandait si elle n’était pas en train de rêver... Tout lui revint rapidement en mémoire: ‘’ Que faire ? Où aller ? Qui voudra bien de moi ? Mon dieu, l’école! Il va falloir aller à l’école?...’’. Les questions se bousculaient dans sa petite tête; elle se leva rapidement et commença à se rendre au bourg pour rejoindre son école et sa classe. maître Quân dès qu‘il l’aperçut, fut stupéfait, il la reprit doucement : - Mai Ly ! Regarde comment tu es habillée et coiffée ? Une petite souillonne ! Si tu ne fais pas plus attention, je te renverrai de la classe. C’est compris ? Mai Ly regarda tristement son maître d’école avec le secret espoir d’une aide, mais ne dit rien, ravala ses larmes... Elle se taisait de honte devant tous ses camarades de classe. Toute la journée, elle ne suivit pas un mot du cours, les questions martelaient dans sa tête:‘’Que vais-je devenir? Où dormir ? Pour me vêtir, faire ma toilette, laver mes vêtements. Que faire... que faire ? Mon Dieu!’’.
Boum, boum... résonna le gong...
Petite fille, voici la fin du cours Ou le départ de la vie, d’une course... La barrière se ferme ou s’ouvre Devant un monde si vaste... Famille, parents, amis et proches, Tous, tous sont là, si nombreux! Et pourtant, pourtant c’est le vide... Personne! Ont-ils tous disparu? Le soleil s’en est allé derrière l’horizon... Tandis que la nuit descend impitoyable Sur une enfant solitaire, sans père, ni mère Seule... égarée, perdue dans la grande vie. à la sortie de l’école, la barrière franchie, Mai Ly réfléchit sans arriver à trouver une issue, en outre elle avait faim et soif... Que faire ? Elle alla vers la fontaine publique, arrondit ses deux petites mains, prit quelques gorgées d’eau ; son regard tomba par hasard sur le tas de détritus, laissé par le nettoyage du marché. Elle reprit espoir... les marchands ont peut-être laissé quelque chose qui pourrait l’aider à apaiser sa faim. Elle fouilla dans le tas et découvrit avec bonheur deux bananes noires car le mûrissement était déjà bien avancé... une petite colonie de fourmis rouges s’en était déjà emparé et commencé leur festin; vite elle s’en débarrassa et mangea avidement les restes : ‘’Ainsi va la vie ! forts contre faibles... c’est la loi du plus fort ! Si les fourmis étaient de ma taille, ils auraient eu le dessus sans aucun doute, depuis longtemps ! En plus ils ont le nombre pour eux...’’. Mai Ly se sentait coupable de leur avoir volé leur pitance... tant pis, trop tard ! le mal était fait ! Le jour tombait, il commençait à faire nuit, Mai Ly regarda autour d’elle... le marché était maintenant désert, tout le monde était rentré chez soi pour se retrouver en famille. Mai Ly aperçut sur sa droite les étals de boucher, la voilà la solution. Elle grimpa prestement sur l’un d’eux et s’y allongea, la puanteur de l’odeur carnée lui montait aux narines mais elle y demeurait stoïque sans se douter que les moustiques alléchées par l’odeur de chair fraîche allaient s’y attaquer goulûment ! Le corps enfantin était recroquevillé comme une petite crevette desséchée; ses yeux se fermaient à moitié tandis que les petites mains essayaient en vain d’éloigner ces vampires... La fatigue finissant par emporter, elle plongea dans le sommeil, tant pis pour ces piqûres de moustiques !... L’aube commença à poindre, la brise était légère avec parfois une bouffée de fraîcheur; le marché s’activait, les marchandes déposaient leurs palanches et invitaient les travailleurs au déjeuner matinal, il y avait là toutes les petites douceurs du matin : brioches à la vapeur, riz à la vapeur, salé-sucré, tout y était... Les rires et les conversations fusaient de tous les côtés comme le bourdonnement de tout un essaim d’abeilles. La petite Mai Ly restait profondément endormie malgré le brouhaha du marché... Un homme d’une cinquantaine d’années, rondouillard, la tête enserrée dans un turban, vêtu d’un caleçon, une chemise mal boutonnée, en traînant des pieds s’approcha de l’étal : - Hé ! toi le gosse, réveille-toi ! Qui es-tu ? D’où tu viens ? Tu veux que je te découpe en morceaux comme ma viande de boucherie ? C’était oncle Thái, le propriétaire de l’étal. Mai Ly réveillée en sursaut par les cris du bonhomme se frotta les yeux, elle avait peur, ne sachant que faire : - Oui, oui... oncle Thái, je m’en vais, tout de suite ! - C’est cela, dépêche-toi, fiche le camp d’ici, et en vitesse ! - S’il te plaît, je m’en vais, pitié, ne me découpe pas en morceaux !... Oncle Thái examina plus attentivement Mai Ly, une seconde après, il s’exclamait: - Mais oui, je te connais ! - Je vous en prie, ne criez pas ! Vous me faites peur ! - Tu es bien la petite sœur de Hà, la fille de maître Hùng, et la petite-fille du Notable Hạnh, c’est bien cela ? - Oui, c’est bien moi. - Hé bien ! Pourquoi as-tu dormi ici ? Mai Ly entre deux pleurs lui raconta : - C’est.., c’est parce que mon frère m’a chassée de la maison et je suis partie depuis deux nuits déjà ! - Deux nuits ! Où étais-tu la nuit dernière ? - Je suis allée dormir avec papa ! - Quoi ? Tu es allée dormir avec ton père ; mais, petite malheureuse, ton père est mort depuis longtemps ! Oncle Thái compta et recompta sur ses doigts: - Ça fait maintenant combien de temps déjà... Ha, ça fait au moins six ou sept ans qu‘il est mort et tu dis que tu es allée dormir avec ton père. Hé, petite malheureuse ! Tu as perdu la raison ? Il faut que je prévienne ta famille. - Non, oncle Thái ! Je veux dire que je suis allée dormir près de la tombe, aux côtés de mon père ! - Et, tu n’as pas peur des revenants? - Oh non ! Mon papa est là, il me protège. Oncle Thái attendri, poussa un gros soupir, pendant qu‘il disposait les morceaux de viande sur son étal : - Dis-moi, pourquoi ne vas-tu pas chez tes autres oncles et tantes ? Je peux les prévenir, ils viendront te chercher ! Il marmonnait :‘’Une famille bien en vue ! qui ne manque de rien, comment est-ce possible ?’’... Et il continue : - Tu ne dois pas vagabonder comme cela, tu dois rentrer chez toi, c’est compris ? - Oh non, oncle Thái ! - Pourquoi non ? - Parce que chez un oncle, il y a belle-tata et chez une tante il y a beau-tonton. La vie n’est pas agréable ! Ils ne m’aiment pas... - Oh là là, tu es trop compliquée ! Comment vas-tu faire alors ? - Je ne sais pas trop... je dois m’en aller, c’est tout ce que je sais ! - Où veux-tu aller ? Fais attention, sinon tu risques de te faire piquer par la Maison-du-Chiffre, c’est la catastrophe... tu ne pourras plus t’en sortir ! - Qu‘est-ce que c’est la ‘’Maison-du-Chiffre ?’’ Oncle Thái de sa voix tonitruante poussa une gueulante : - ça suffit, maintenant, rentre chez toi et pas d’histoires ! Mai Ly s'apprêtait à partir, mais son estomac criait famine, elle se hasarda à demander : - Oncle Thái, auriez-vous quelque chose à manger, j’ai très faim ! - Tiens, voilà une banane ! Oncle Thái sortit de sa besace une banane qu‘il jeta à terre. Mai Ly humiliée par ce geste de mépris ne ramassa pas le fruit..., s’enfuya à toutes jambes...